Questions à propos du politique et de l’administratif

Pierre P. Tremblay

De nombreuses années de recherche et d’enseignement en administration et politiques publiques me laissent toujours dans le doute quant aux réponses à apporter à un certain nombre de questions. Je n’ai toujours pas de certitude en particulier pour celles qui, aujourd’hui, me semblent les plus importantes. Elles sont le fait de ma sensibilité de politologue, qui me place au carrefour de disciplines aussi variées que sont l’économie, la sociologie, l’histoire, le management et le droit, sans oublier une part de la philosophie. Il se peut que cette position intellectuelle soit naturellement génératrice d’hésitation à opter pour une conclusion définitive à un questionnement. Il se peut aussi que la marche des sociétés et des individus qui les constituent fera des convictions d’hier les obsolescences de demain.

La première de ces questions est la suivante: la vie politique nuit-elle à la bonne administration des biens et des services publics? Le cynisme ambiant et le déficit de crédibilité du politique contemporain, de même que tous les scandales présumés ou avérés qui affectent nombre de pays, mènent à penser que les autorités élues se livrent intensément au gaspillage des fonds publics. C’est une exagération, bien sûr. Mais elle s’implante de plus en plus solidement dans les esprits. En réaction, des aspirants à des fonctions électives commencent à dire que pour la survie et la santé de la chose publique, les collectivités ont davantage besoin d’administrateurs que de politiciens. Cette nouvelle formule laisse croire que les gestionnaires, les fonctionnaires et autres employés du secteur public n’ont que pour seule préoccupation le bien du citoyen. C’est certainement une autre vision déformée de la réalité.

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C’est au politique que reviennent l’organisation et le contrôle de l’administration. Or, lorsque, parmi les critères utilisés pour ce faire se retrouvent la partisannerie, le favoritisme, voire la proximité idéologique, la justesse et la pertinence des décisions prises par l’appareil administratif sont, à tout le moins, questionnables. Les débats parlementaires et les débats des conseils municipaux convient les citoyens au spectacle d’une querelle permanente où chaque formation politique tente de diaboliser ses adversaires. L’enfer, c’est les autres, comme le disait Jean-Paul Sartre. C’est à qui piégera l’autre pour lui faire perdre le plus de soutien électoral possible et le faire baisser dans les sondages. Pendant ce temps, que font concrètement les élus de la surveillance et du contrôle de l’administration? L’excuse fréquente du « Je ne savais pas » est trop simpliste et ne convainc plus. Il semble que le politique et l’administration se nuisent l’un l’autre. Cependant, on ne voit pas comment ils pourraient être séparés.

La troisième question est celle du coût de l’administration publique. Les modèles de référence que furent à différents niveaux les pays scandinaves laissent à penser qu’il existe bel et bien une limite au-delà de laquelle les objectifs de justice, d’équité, d’égalité et de fraternité sont pervertis. Pendant une bonne période de temps, la Suède consacrait presque les trois quarts de son

La deuxième question est celle de la participation de l’administration au progrès social. La finalité première ne peut être autre que le bien-être collectif. En d’autres mots, faire en sorte    que les citoyens, tant dans leur individualité que dans leur ensemble ainsi que dans leur environnement, améliorent durablement leur qualité de vie malgré les obstacles à franchir. Or, les indicateurs de progrès social, quantitatifs pour la plupart, nous renseignent peu sur le degré de satisfaction des besoins à combler. L’immixtion grandissante de l’État dans la société semble avoir créé des attentes irréalistes et fait oublier à beaucoup de personnes que le progrès social ne s’administre pas. Le progrès social est le résultat des efforts de tout un chacun à l’intérieur de balises posées et gérées par la puissance publique. En dehors de cela, le progrès social est une utopie.

La quatrième question concerne le partage de la facture de l’administration publique. Qui doit payer? La démagogie facile mène certains à scander avec force pancartes et défilés à l’appui « Faisons payer les riches ». À ce compte-là, les riches vont rapidement disparaître. Ce slogan d’un autre âge ne tient pas compte du fait que, face à l’État et à son administration, l’individu ou l’entreprise exerce diverses fonctions sociales et économiques. Il est un citoyen qui est aussi un bénéficiaire, parfois un usager et très souvent un consommateur de biens et services publics. Chacune de ces fonctions est distincte et implique un rapport différencié à l’État. Pourquoi ne pas baser les contributions au trésor public sur une telle grille?enrichissement (PIB) aux biens et services publics. Aujourd’hui, ce pays phare de la social-démocratie est revenu à un taux similaire à celui de la France et du Royaume-Uni, pour n’en citer que deux. Mon sentiment est qu’il y a, dans toute société libre, un point d’équilibre entre le patrimoine public et le patrimoine individuel. Il y a équilibre lorsque les deux patrimoines s’épaulent l’un et l’autre. Il y a déséquilibre et dysfonctionnement lorsque l’un abuse de l’autre et l’appauvrit.

Ces quatre questions vont finir par trouver des réponses qui ne seront ni définitives ni complètes. Elles vont émerger de la nécessaire confrontation des diverses philosophies politiques qui seront revenues de leurs excès et de leurs contradictions.

Pierre P. Tremblay est titulaire d’un doctorat en science politique de l’Université de Montréal. Après avoir œuvré plusieurs années au sein des administrations publiques fédérale et québécoise, il est maintenant professeur titulaire au Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal. Spécialiste des politiques de finances publiques et de la théorie de la décision, il a publié plusieurs ouvrages théoriques et empiriques portant sur les grands enjeux de l’administration du secteur public. Il a enseigné dans plusieurs universités au Québec.

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